Que devient un compte Facebook à la mort de son propriétaire ? Avec son milliard d’abonnés, le site de Mark Zuckerberg pourrait être le troisième pays à plus forte population du monde, derrière l’Inde et la Chine. Un réseau de plus en plus dense et un nombre de profils morts qui ne devrait qu’accroître au fil des années, faisant de Facebook le plus grand cimetière du monde.
Photos, messages, vidéos… toutes les publications restent en place alors que le membre n’est plus. Le réseau prend alors une toute autre dimension pour devenir un lieu de recueil. On poste sur un mur tout comme l’on déposerait des fleurs sur une tombe.
En 2011, Entrustet, une société américaine qui se présente comme aidant les individus à préparer l’avenir de leurs « actifs numériques » (comptes mail, réseaux sociaux, photos, vidéos…) après leur mort, estimait à 1,78 million le nombre d’utilisateurs de Facebook qui allaient mourir dans l’année. Et sans les mots de passe de ces « amis » virtuels, impossible de supprimer leur compte. Pourtant, éliminer un profil pourrait être bénéfique, car ces fantômes n’hantent pas que la Toile, mais également les pensées de leurs proches, qui peuvent avoir l’impression, grâce à une page toujours active, que leur « ami » décédé est encore là. Ad vitam æternam.
1Etre ami « Facebook » avec un mort, c’est refuser qu’il s’en aille
Selon Vanessa Lalo, psychologue des médias numériques, « entretenir une amitié virtuelle avec un mort est très particulier ». Mais de là à dire que cette démarche freine notre acceptation du deuil, c’est une autre histoire. « Nous n’avons pas assez de recul sur le virtuel pour pouvoir juger de notre comportement face à ce genre de situation. Nous sommes trop immergés », assure-t-elle.
Néanmoins, si un profil mort peut éventuellement aider à mieux accepter le départ d’une personne, il nous empêche d’y mettre un point final. La solution pour passer à autre chose ? Supprimer ce contact de nos amis « Facebook ».
« Supprimer quelqu’un, c’est l’enterrer une deuxième fois »
Retirer quelqu’un de sa liste d’amis est une étape on ne peut plus difficile. « Si je l’élimine, je l’enterre une nouvelle fois », image Vanessa Lalo. « Je prends délibérément la décision de le supprimer de ma vie (virtuelle). » De plus, ôter un mort de ses contacts n’est pas anodin, car c’est un geste irréversible. Si la personne n’est plus là pour accepter la « demande d’amitié » sur Facebook, impossible de faire marche arrière.
Valérie*, qui a perdu son ami Matthieu* il y a maintenant trois ans, ne voit pas tout à fait les choses de la même façon. « Au moment du décès de mon ami, sa mère a créé une nouvelle page Facebook en son nom et rajouté tous ses amis. Elle voulait y poster des informations pratiques sur la cérémonie d’enterrement (la date, le lieu exact). J’ai trouvé ça bien, car dans le journal, on ne savait pas grand-chose », raconte-t-elle en sortant la coupure de la rubrique nécrologique qu’elle conserve précieusement dans son portefeuille.
En revanche, Valérie a préféré supprimer le compte que son ami avait créé de son vivant. « Il est mort, c’est fini », lance-t-elle très lucidement. « Je l’ai éliminé car c’était devenu une page morte. Et comme je suis assez pudique, je n’ai jamais posté sur son mur depuis son décès. » En revanche, elle n’a jamais supprimé le compte créé par la maman de Matthieu. Les informations que publient ses parents sur Facebook sont parfois précieuses, et certains de ses amis postent encore des photos sur le mur. « Je trouve ça plutôt bien. Cela me permet de voir des clichés que je ne connaissais pas et d’essayer d’oublier la dernière image que j’ai gardé de lui : celle d’un jeune homme de 20 ans, allongé dans la chambre funéraire », ajoute Valérie.
Défaire son couple sur Facebook, une trahison ?
Facebook connaît tout de ses utilisateurs. Leur date de naissance, leurs goûts musicaux, leur clan politique et même leur situation amoureuse. Nombreux sont ceux qui s’affichent fièrement sur le réseau, cochant le statut « en couple ». Mais à la mort de l’un des deux, que faire ? Souvent, changer sa « situation sentimentale » est vécu comme une trahison. Selon le Dr Lalo, « tout dépend de l’importance que le couple donne à son rayonnement sur le réseau. Pour certains, confirmer une relation sur Facebook équivaut à un mariage. Pour d’autre, ce n’est rien de plus qu’un statut. Alors, défaire la relation sur la Toile sera vécu différemment selon l’approche que chacun a eue avec le virtuel de son vivant. »
Savoir où l’ami en était avant sa mort
Au fond, qu’est-ce qui fait que l’on s’attache tant à un profil virtuel ? Chacun pourrait très bien regarder les photos de son proche décédé sur son ordinateur ou sur papier. Mais « ce n’est pas vraiment la même démarche, explique la psychologue. Sur Facebook, vous avez cette part d’humanité que vous ne retrouverez pas sur de simples photos. Sur le réseau, vous pouvez retrouver l’heure et la date de publication des clichés, les commentaires postés de son vivant. » En gardant un ami sur Facebook plutôt que dans un album photo, on crée l’illusion de le garder un peu en vie et de savoir « où en était cette personne avant de mourir ».
Ne pas être seul face à la mort
Avant l’arrivée des réseaux sociaux, personne ne se posait la question. Ce n’était pas pour autant que les défunts étaient oubliés. « Mais si l’ami est toujours là virtuellement, je peux m’adresser directement à lui, exprimer mon chagrin », avance la psychologue.
« Certains de nos amis communs souhaitent encore à Matthieu un joyeux anniversaire ou un bon Noël. Personnellement, je n’ai pas besoin de poster un message public pour penser à lui aux dates importantes. Et, selon moi, Facebook est un lieu trop impersonnel pour y déverser ses sentiments face à une telle situation », pense Valérie. Mais, à travers ces messages, certains espèrent une réponse. « Face à une tombe, nous n’attendons rien, alors que sur Facebook, un post est potentiellement transformable. Un « like », un commentaire… En gardant contact malgré la mort, je sais que je ne suis pas seul, que d’autres internautes peuvent me soutenir », explique Vanessa Lalo.
*Les prénoms ont été modifiés